Le Harcèlement moral en entreprise : Conseils pour y faire face – Droit Devant #7

 

Le podcast de Maître Marylaure Méolans, avocate experte en droit du travail.

Cet épisode est le premier d’une série consacrée au harcèlement moral en entreprise.

Vous y trouverez les réponses à toutes les questions que vous vous posez :

  • Qu’est-ce que c’est que le harcèlement moral ? cette notion dont on entend souvent parler mais que l’on a du mal à définir… A l’appui d’exemples concrets, on vous aide à l’identifier
  • Quand peut-on considérer que l’on se trouve dans une situation de harcèlement moral ?
  • Comment réagir quand on est victime ?
  • Comment se défendre dans une telle situation ?
  • Comment constituer un dossier de harcèlement ?

Très bonne écoute !

Vous pouvez m’adresser des suggestions de thèmes que vous souhaiteriez voir aborder dans le podcast en m’écrivant : m.meolans@victoire-avocats.eu

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Retranscription du podcast :

L’épisode d’aujourd’hui s’inscrit dans une série consacrée au harcèlement moral en entreprise. Les enquêtes mesurant l’ampleur de ce phénomène sont assez rares.

D’après un sondage Ipsos, l’état des lieux dressé est alarmant : 30% des salariés français déclarent subir ou avoir subi une situation de harcèlement moral. Par ailleurs, plus d’un tiers des salariés interrogés, (37% exactement), disent avoir été témoins du harcèlement moral d’un collègue. Cette pratique semble donc aujourd’hui extrêmement répandue et les causes évoquées à l’appui de cette étude sont multiples. Le sondage pointe comme indicateur une frontière de plus en plus poreuse entre la vie personnelle et la vie professionnelle, une surcharge de travail structurelle, du stress, une mauvaise ambiance, un management délétère.

Si j’ai souhaité aborder l’aspect juridique de ce sujet, je me suis rapidement aperçue qu’il était aussi important de donner la parole à des experts n’appartenant pas au monde du juridique, et qui pourraient apporter leur éclairage à cette analyse. J’ai donc décidé de donner la parole à des experts de terrain confrontés régulièrement au sujet de la souffrance au travail et aussi à des coachs qui accompagnent régulièrement dans leur transition les salariés en souffrance, qui décident de se repositionner professionnellement. Ces experts prendront la parole dans les prochains épisodes. Mais aujourd’hui, cet épisode va être consacré à poser le cadre juridique du harcèlement moral.

Finalement, qu’est-ce que le harcèlement moral ? Cette notion dont on entend souvent parler, mais que l’on a bien du mal à définir. Quand peut-on considérer que l’on se trouve dans une situation de harcèlement moral ? Comment réagir quand on en est victime ? Comment se défendre dans une telle situation ? Comment constituer un dossier de harcèlement ? Et comment ménager la preuve de cette situation ? Voilà les différentes questions auxquelles nous répondrons dans l’épisode d’aujourd’hui.

D’abord, sur la définition du harcèlement, il faut savoir que le harcèlement moral constitue à la fois un délit sanctionné pénalement et un comportement prohibé par le Code du travail. Cela signifie que tout salarié qui a commis des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire et aussi d’une sanction pénale. Le Code pénal punit de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros le fait de de harceler autrui, et le Code du travail donne une définition du harcèlement moral. Il précise qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (article 1152-1 du Code du travail). Ces agissements que je viens de décrire sont interdits, même en l’absence d’un lien hiérarchique entre vous et l’auteur des faits.

La notion n’est pas simple à définir et pour mieux la comprendre, je vous propose de prendre quelques exemples concrets de harcèlement moral. J’ai classé ces exemples par catégorie, j’ai repris les catégories qui ont été faites par des sociologues et des psychologues qui ont tenté de classer les comportements dans un répertoire d’actes hostiles.

On peut ainsi identifier cinq catégories principales de comportements déviants.

La première, est celle dont on entend souvent parler. Ce sont des actes qui visent l’isolement physique et social d’une personne, ce sont les agissements que l’on qualifie souvent de « mises au placard ». En réalité, ce sont des actes qui consistent à nier l’étendue de la présence physique de l’individu. C’est par exemple le fait de figurer sur un organigramme à un poste très inférieur au poste que l’on occupe ou de ne plus figurer du tout sur l’organigramme de l’entreprise. Le fait d’être affecté à un nouveau bureau aux dimensions restreintes ou à des tâches ou à des fonctions rétrogrades. Le fait de se voir confier des missions qui sont sous-qualifiées à plusieurs reprises, de se voir attribuer des tâches qui sont sans rapport avec celles occupées précédemment ou de se voir retirer la gestion de certains clients. Cela peut consister également en une modification des fonctions. Il peut s’agir de la privation d’un téléphone portable ou d’un véhicule professionnel. Ce peut être le fait d’être isolé des autres salariés parce que les consignes sont désormais données à vos collègues et ou parce que l’on ne vous adresse plus la parole. Cela peut être le fait pour votre hiérarchie de donner des consignes qui visent à ne plus vous considérez, à vous exclure des réunions, des chaînes de mails, du processus de décision, de voyages, de déplacements. Tous ces agissements-là sont placés dans cette première catégorie qui consiste en réalité à nier la présence physique d’un individu.

La deuxième catégorie d’actes sont des actes qui ont pour objet de nuire à la santé d’une personne. La contraindre, par exemple, à des travaux qui sont dangereux ou qui sont nuisibles à sa santé par le biais d’une surcharge de travail structurelle avec des sollicitations à des heures indues ou une multiplication des réunions, des ordres, des contre-ordres.

La troisième catégorie sont des actes qui visent à discréditer une personne dans son travail. A la priver de toute activité, par exemple parce que l’une des principales obligations de l’employeur, au-delà du paiement du salaire du salarié, est de fournir du travail aux salariés qu’il emploie.
C’est effectivement extrêmement déroutant de se retrouver privé de toute occupation pendant de longues semaines, voire de longs mois. Cette troisième catégorie d’agissements vise donc à discréditer une personne dans son travail ou en la privant totalement de tâches à accomplir ou en la contraignant de réaliser des tâches qui vont être totalement inutiles ou absurdes, humiliantes. Parfois, cela va être l’instauration de réunions de manière extrêmement fréquente, demander de rendre des comptes à une fréquence extrêmement élevée. Ce peut être également la privation de la part variable de la rémunération d’un salarié.

La quatrième catégorie sont des actes qui visent à empêcher une personne de s’exprimer avec des invectives qui vont pouvoir, par exemple, constituer des critiques sur le travail. On réprimande un salarié de façon injustifiée, on lui adresse un avertissement ou une mise en garde sans raison. Il peut notamment s’agir de formuler ces réprimandes publiquement, remettre publiquement en cause l’autorité d’un manager ou d’un collaborateur.

Enfin, la dernière catégorie sont des actes qui ont pour intention de déconsidérer une personne auprès de ses collègues. Ce sera des médisances, des railleries et de l’intimidation. Cela peut être des agressions verbales, évidemment, avec des discours qui peuvent être vulgaires ou des tentatives de déstabilisation qui touchent systématiquement la personne du salarié avec des appréciations bien souvent dévalorisantes. En général, le harcèlement moral n’est pas une pratique qui va être prise isolément. Et d’ailleurs, le texte du Code du travail définissant le harcèlement nous le dit.

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral. Il y a cette notion de répétition. En d’autres termes, un acte isolé qui porte atteinte au droit ou à la dignité d’un salarié va constituer une faute qui va pouvoir être sanctionnée, mais ne suffira pas à caractériser un acte de harcèlement, qui lui, suppose une certaine répétition. En revanche, il n’est pas exigé que les agissements se déroulent sur une très longue période de temps. Donc, ce peut être une période temporelle extrêmement brève. En réalité, on n’est pas vraiment là dans l’exercice d’un pouvoir disciplinaire classique. C’est vraiment de la répétition d’agissements inappropriés, blessants ou déstabilisants.

Voilà pour la définition de ce qu’on considère être du harcèlement moral.

Une des objections qui est classiquement entendue quand on parle de harcèlement moral, c’est de dire que l’auteur n’en avait pas réellement l’intention. Mais il faut savoir que le harcèlement est constitué indépendamment de l’intention de l’auteur. Dès lors qu’on a caractérisé les agissements répétés dont on vient de parler, peu importe que les agissements n’avaient pas pour objet la dégradation des conditions de travail, la preuve de la volonté de nuire ou d’humilier n’est absolument pas à rapporter. 

La deuxième réserve, c’est de se dire que l’on n’est pas véritablement harcelé parce que les agissements n’émanent pas de notre supérieur hiérarchique mais de l’un de nos collègues. Est-ce que l’on peut véritablement parler de harcèlement moral dans un tel cas ? Oui, le harcèlement moral peut être exercé par toute personne au sein de l’entreprise, même sans lien hiérarchique. Le harcèlement peut même émaner d’un subordonné vis à vis de son supérieur.

C’est justement arrivé pour l’une des entreprises que j’accompagne qui a fait face pendant de longs mois à cette difficulté. Il a fallu du temps, en réalité, pour que les faits soient découverts et c’est l’un des collègues qui a fini par parler. On a alors pris la mesure des comportements. Il y avait une femme faisant partie de l’équipe et qui stigmatisait sans cesse les uns et les autres du fait de leurs orientations sexuelles.

C’était quelque chose qui était fait de façon très régulière, par le biais souvent d’attaques homophobes qui étaient d’autant plus graves qu’elles étaient proférées publiquement et en présence d’autres salariés de l’entreprise. Donc, il y avait ces attaques homophobes et il y avait également des qualifications inappropriées car elle était très virulente dans ses propos.

Elle allait par exemple qualifier publiquement le travail d’un collaborateur de « pourri » ou l’exclure de certaines réunions. Elle faisait cela avec des gens qui avaient des personnalités assez effacées et introverties, qu’elle allait pouvoir menacer ou surveiller à outrance, même si elle n’avait aucune légitimité particulière pour le faire. Mais elle le faisait parce qu’elle avait une certaine « séniorité d’entreprise » et même si elle n’avait pas de management à exercer, elle avait une certaine ancienneté.

Suite à la dénonciation de ces faits par l’un des collaborateurs qui a fini par parler parce qu’il faisait face à une situation de mal-être, nous avons décidé avec l’entreprise, de lancer des investigations et nous avons auditionné les dix-neuf salariés de la structure. Ce qui est apparu, c’est que de manière très majoritaire, il y avait une forme d’autoritarisme généralisé à l’égard de la collectivité des travailleurs, avec les mêmes mots très violents qui étaient utilisés sans que les salariés auditionnés ne se soient concertés au préalable. Certains disaient qu’elle « leur maintenait la tête dans le sable », d’autres utilisaient le mot « asphyxie », d’autres parlaient de « grand stress », même « d’enfer ».

Donc, tous ont vraiment caractérisé des agissements qui étaient parfaitement inopportuns, avec des comportements inadaptés, voire déviants. Nous avons décidé de rompre son contrat travail pour faute grave. Mais ce qui a été très difficile, c’est que dans la mesure où il n’y avait pas de lien hiérarchique, il a fallu du temps pour que la parole se libère parce que les collaborateurs de l’équipe ont eu du mal à considérer que le harcèlement était caractérisé du fait de son absence de lien hiérarchique avec les uns et les autres.

Maintenant que l’on a vu les principaux agissements de harcèlement moral et les réserves les plus communément émises lorsqu’on parle de harcèlement, comment réagir quand on en est victime ? Comment se défendre dans une telle situation ? La première réaction à avoir, c’est de ne pas rester seul. Tous les experts le disent, et j’ai réalisé l’interview de Stéphanie Carpentier, qui est experte en management de la relation des ressources humaines et en prévention de la santé au travail. Elle s’exprimera donc dans le prochain épisode de Droit Devant et nous avons consacré une partie de notre échange à ce sujet. Ce qu’elle dit, c’est qu’il faut impérativement parler de cette situation de mal-être et l’évoquer.

Un médecin psychiatre et psychanalyste, connu pour être notamment intervenu au travers de nombreux ouvrages sur le sujet du harcèlement moral, qui s’appelle Marie-France Hirigoyen, a établi des statistiques à partir de questionnaires qui ont été renseignés par des sujets s’estimant harcelés. Les personnes d’après ces sondages, cherchent régulièrement un soutien interne auprès, par exemple, des représentants syndicaux dans la plupart des cas, 40% auprès du médecin du travail, 39% auprès des collègues ou du DRH. Ce que montre ce sondage, c’est que l’on peut aller chercher de l’aide auprès d’interlocuteurs externes, que ce soit un avocat, l’inspection du travail, d’un médecin ou d’un psychiatre. L’essentiel, quel que soit l’interlocuteur que l’on a décidé de choisir, c’est d’en parler et de s’ouvrir pour aborder cette situation.

Au-delà de la décision de verbaliser les situations que l’on vit, la deuxième étape, est de commencer à compiler et réunir les pièces de son dossier, commencer à constituer un dossier. Se constituer un dossier, pourquoi ? Parce que si chaque salarié réagit différemment, on remarque pour beaucoup, que tourner la page de cette situation, implique une reconnaissance judiciaire des événements avec éventuellement la condamnation de l’auteur lorsque l’on considère qu’il y a eu véritablement une situation de souffrance caractérisée et qu’on a besoin de cette étape pour se reconstruire. Donc, la saisie d’un tribunal pour faire reconnaître cette situation de souffrance est pour beaucoup une étape, et dans les faits, il existe des agissements qui vont être assez faciles à retracer parce que certains comportements inappropriés peuvent avoir lieu par e-mail, par SMS. Ici, il suffit de rassembler ces éléments et compiler les échanges d’e-mails. Les exclusions, par exemple, des chaînes de mails dont on parlait tout à l’heure, les exclusions de l’organigramme, les changements de bureau, on peut alors être amené à prendre des photos, donc rassembler tous ces éléments probatoires, ce sera la deuxième étape.

Et puis écrire aussi, parce que souvent, on a cette objection qui consiste à dire mais en réalité, la situation de souffrance que je vis n’est absolument pas établie par des éléments probatoires. Et bien, les écrits, même s’ils émanent de vous, constituent des éléments de preuves qui seront examinés par les juges. Donc, il faut non seulement parler de la situation, mais aussi écrire aux interlocuteurs qu’on a vu précédemment. Cela peut être les représentants du personnel, l’inspection du travail, la médecine du travail. Il ne faut pas hésiter à écrire et à relater les faits.

Notamment parce que la loi protège les salariés qui dénoncent une situation de harcèlement moral. La loi de modernisation sociale prévoit expressément qu’un salarié qui relate des faits de harcèlement ne peut pas être licencié, donc il est important d’écrire pour se protéger, pour se mettre sous la protection de la loi, mais aussi pour constituer les éléments de son dossier. On peut ensuite compiler d’autres éléments qui vont montrer la dégradation de l’état de santé, qui est un élément important dans la caractérisation du harcèlement moral. Si jamais les agissements de harcèlement ont un impact sur l’état de santé de la victime, il faut évidemment arriver à le montrer. Cela veut dire rassembler les ordonnances et les prescriptions diverses, compiler les arrêts de travail s’il y en a. Aller consulter un centre de psychologie du travail et éventuellement faire établir des attestations par son médecin. Et puis, solliciter les élus qui vont avoir la possibilité de lancer des investigations, notamment une enquête pour risque grave. Ne pas hésiter à demander à l’employeur de faire la lumière sur les évènements, de lancer des investigations. L’employeur, d’ailleurs, aux termes d’un arrêt du 27 novembre 2019, a l’obligation de diligenter une enquête dans de telles situations, sur le fondement de l’obligation de sécurité, et doit faire la lumière sur les événements qui sont portés à sa connaissance.

Voilà les principales étapes à dérouler lorsque l’on fait face à une situation de harcèlement. D’abord, bien comprendre si on se trouve dans une configuration de harcèlement avec les agissements que l’on a décrits : la répétition, la période temporelle, analyser tous ces éléments. Puis ensuite vient la réaction : en parler, quel que soit l’interlocuteur que l’on a décidé d’identifier puis commencer à compiler les éléments de son dossier qui permettront de montrer le jour venu, lorsque l’employeur décidera de lancer des investigations et que la situation sera portée à sa connaissance, d’établir les agissements de harcèlement dont on vient de parler.

Merci de votre écoute et à bientôt.

 

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