LES FRANCAIS PARLENT AUX ESPORTIFS – La chambre sociale fait son appel du 18 juin avec un joueur esportif reconnu salarié de son club !

Victoire Avocats a déjà eu l’occasion d’analyser diverses décisions relatives à la nature de la relation contractuelle entre un joueur et un club esportif :

En revanche, aucune des décisions précédentes n’était sans doute aussi claire que le récent arrêt du 18 juin 2025 de la Cour d’appel de Metz[1].

A son tour, cette dernière a en effet rendu une décision affirmant qu’un joueur esportif sous contrat avec le club OG esports A/S sous l’intitulé « accord joueur », exerçait en réalité une activité salariée qui aurait dû faire l’objet d’un contrat de travail !

Surtout, contrairement aux autres décisions rendues en la matière, l’URSSAF n’est pas à l’origine de cette décision mais le joueur lui-même.

FAITS ET PROCEDURES :

Le 27 décembre 2021, un joueur a conclu avec OG esports A/S un contrat intitulé « accord joueur » pour une période du 1er décembre 2021 au 31 décembre 2023.

Ce contrat a été conclu afin que le joueur participe à des tournois esportifs et aux entraînements (parfois au cours de séminaires).

Le 1er mai 2022, ce contrat a été résilié par le club, avec effet au 30 juin 2022.

Le 1er février 2023, le joueur a saisi le Conseil de Prud’hommes de Forbach, en Moselle, afin de faire caractériser l’existence d’un contrat de travail entre les parties et solliciter des indemnités de rupture.

Le 4 décembre 2023, le Conseil de prud’hommes de Forbach a débouté le joueur de ses demandes.

Les 14 et 15 décembre 2023, le joueur a interjeté appel de cette décision.

Le 18 juin 2025, la Cour d’Appel de Metz a rendu sa décision !

 

POSITION DES PARTIES :

1/     Pour le joueur

Le joueur souhaitait que la Cour d’appel de Metz :

  • Constate que le contrat du 27 décembre 2021, intitulé « accord joueur », était un contrat de travail à durée déterminée ;
  • Juge que la rupture du contrat de travail était abusive ;
  • Condamne la société OG esports A/S à divers montants au titre :
    • du travail dissimulé ;
    • de la rupture abusive du contrat de travail ;
    • des congés payés y afférents ;
    • de l’indemnité de précarité ;
    • de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ces demandes, le joueur a avancé que :

  • Le contrat signé avec la société OG esports A/S le 27 décembre 2021 présentait les caractéristiques d’un contrat de travail à savoir l’exécution d’une prestation, une rémunération et un lien de subordination ;
  • Il jouait depuis son domicile selon les instructions quotidiennes de son club, bénéficiait d’un suivi et d’un entraînement ;
  • Il percevait de la société OG esports A/S des virements mensuels intitulés « salary » et bénéficiait de feuilles de paie ;
  • Il disposait d’un certificat A1 délivré par l’URSSAF le 27 février 2023 attestant de son affiliation en tant que salarié ;
  • Il bénéficiait d’un congé annuel de cinq semaines.

2/     Pour le club

Pour sa part, le club souhaitait que la Cour d’appel de Metz :

  • Confirme le jugement du Conseil de Prud’hommes de Forbach ;
  • Juge que le contrat de prestation de services n’était pas un contrat de travail à durée déterminée ; et
  • Déboute le joueur de l’ensemble de ses demandes.

Dans cette optique, le club soutenait que :

  • Un contrat avec un joueur de jeux vidéo n’a pas nécessairement à être un contrat de travail, dès lors qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne l’impose ;
  • Il ne bénéficiait pas de l’agrément délivré par le ministère en charge du numérique permettant un recours au contrat de travail spécifique (CDD esportif) ;
  • Le terme « salary » doit se traduire par « rémunération » ;
  • Le certificat délivré par l’Urssaf sur la base des seules déclarations du joueur ne vaut pas reconnaissance d’un contrat de travail et permet simplement de désigner la législation sociale applicable ;
  • Il ne disposait d’aucun établissement en France et n’avait jamais versé de cotisations sociales ;
  • Les règles prévues par la charte de jeu (document interne contresigné par le joueur) ne caractérisaient pas l’existence d’un lien de subordination ;
  • Les périodes de congés de cinq semaines sont fréquentes dans les contrats de prestation de services et ne sont donc pas l’apanage des contrats de travail ;
  • La clause d’exclusivité ne doit pas être vue comme un élément caractéristique du contrat de travail ;
  • Le joueur n’établissait pas l’existence d’une soustraction intentionnelle de la société à ses obligations.

A  la lecture des motifs de l’arrêt, il convient de distinguer tour à tour :

–       La requalification en contrat de travail sur la base de la réalité de la relation contractuelle (1/) ;

–       Les importantes conséquences juridiques et financières emportées par une telle requalification (2/).

1/             REQUALIFICATION DU CONTRAT DE TRAVAIL SUR LA BASE DE LA REALITE DE LA RELATION JOUEUR/CLUB

1/A    Rappel de la règlementation et de la jurisprudence applicable

Pour rappel, dès lors (i) qu’une structure bénéficie d’un agrément ministériel, (ii) recourt à un joueur placé sous sa subordination, (iii) qui est rémunéré (iv) pour participer à des compétitions de jeux vidéo, le recours au CDD esportif visé à l’article 102 de la Loi n°2016-1321du 7 octobre 2016 pour une République numérique est obligatoire.

Par ailleurs, selon l’arrêt dit « Société Générale » rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation le 13 novembre 1996, le lien de subordination se caractérise par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du subordonné »[2].

De plus, il sera rappelé que la requalification d’un contrat en contrat de travail dépend des conditions réelles de l’activité et non du titre du contrat donné par les parties[3].

Enfin, si l’on se concentre sur la matière esportive, la Cour d’appel de Rouen[4] a d’ores et déjà pu prononcer la requalification de contrats de prestation de services en caractérisant l’existence d’un lien de subordination.  

1/B    Motifs de la Cour d’Appel de Metz

          a)       Indifférence de l’existence d’un agrément

La Cour a rejeté l’argument avancé par le club en affirmant à nouveau qu’une société ne peut faire valoir l’absence d’obtention de l’agrément visé par l’article 102 de la loi pour une République numérique, pour ne pas conclure de contrat de travail.

A cet égard, la Cour d’appel de Rouen avait déjà reconnu la possibilité pour un club non agréé de conclure des CDD de droit commun avec ses joueurs[4].

          b)       Existence d’un contrat de travail

Dans la continuité des rappels de droit ci-dessus, dès lors que l’existence d’une prestation de travail et d’une rémunération sont avérés et non contestés (ce qui est bien souvent le cas dans ce type de contentieux), la qualification du contrat en contrat de travail dépend in fine de l’existence ou non d’un lien de subordination.

Or, la Cour a précisément conclu à l’existence d’un contrat de travail liant les parties eu égard à la caractérisation de l’existence d’un lien de subordination, en retenant :

                   (i)     Un pouvoir de direction du club

Tout d’abord, la Cour a considéré que le club disposait d’un pouvoir de direction à l’égard du joueur dès lors que le contrat signé par les parties stipulait, de manière particulièrement explicite, que le joueur :

  • « est soumis aux instructions données par la compagnie » ;
  • « s’engage à exécuter les services de manière continue, à tout moment »,
  • « doit, à la demande de la compagnie, être prêt et s’engage à subordonner ses souhaits ou idées personnelles aux intérêts du succès collectif de l’équipe »,
  • « doit se conformer à toutes les instructions données par les personnes concernées autorisées à émettre des directives avec la compagnie et dans le cadre du présent accord »,
  • « doit consacrer tout son temps de travail à l’entreprise » et « réserver l’exclusivité de ses services à la compagnie ».

                   (ii)     Un pouvoir de contrôle du club

Ensuite, la Cour a retenu que le club disposait bien d’un pouvoir de contrôle à l’égard de son joueur du fait de la description dans le contrat d’une journée type, particulièrement détaillée et chargée, décidée unilatéralement par le club, ce que ce dernier n’a pas contesté.

                   (ii)     Un pouvoir de sanction du club

Enfin, la Cour a conclu que le club disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du joueur dès lors que :

  • Le contrat prévoyait des sanctions financières pour le joueur s’il manquait à ses obligations au titre du contrat ;
  • Le joueur s’est ainsi vu infliger une amende de 100 euros pour avoir « été en retard (à de multiples reprises) et avoir fait preuve d’indifférence et d’irrespect ».

Au vu de ces éléments, la Cour d’appel a considéré qu’il existait bien un lien de subordination et, par voie de conséquence, un contrat de travail entre le joueur et le club.

2/             UNE RUPTURE CONTRACTUELLE AUX CONSEQUENCES JURIDIQUES ET FINANCIERES IMPORTANTES

2/A   L’affirmation du caractère abusif d’une rupture pour motif esportif

Pour rappel, l’article L1243-1 du Code du travail dispose que sauf, accord des parties, le CDD ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas :

  • De faute grave ;
  • De force majeure ; ou
  • D’inaptitude constatée par le médecin du travail.

En dehors de ces cas, toute rupture avant le terme est considérée comme fautive, ouvrant droit à la réclamation par le salarié de dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme de son contrat[5]

Dans le cas d’espèce, le motif de rupture du contrat avancé par le club OG esports A/S était qu’il mettait « fin au projet de la ligue française à la fin de la saison prochaine ».

La Cour a donc considéré que le retrait du club de la ligue à laquelle il participait (et par conséquent le joueur) ne rentrait pas dans les exceptions de l’article L1243-1 du Code du travail.

Il a donc été considéré que la rupture était abusive.

2/B   Les conséquences lourdes de la requalification pour le club

L’article L1243-4 du Code du travail dispose que :

« La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8. »

C’est précisément sur ce fondement et avec cette méthode de calcul que la Cour a calculé les dommages-intérêts devant être alloués au joueur esportif, en prenant en compte le montant des rémunérations du joueur et le terme du contrat, prévu au 31 décembre 2023.

La Cour a finalement condamné le club au paiement de :

  • 68. 000 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive du contrat ; et
  • 13.425,80 euros de dommages et intérêts au titre de l’indemnité de précarité.

A noter que la Cour a rappelé que la somme perçue au titre de la rupture abusive du contrat était bien des dommages et intérêts, de sorte qu’aucune indemnité compensatrice de congés payés ne devait être due[6].

*           *

*

En conclusion, cet arrêt rendu le 18 juin 2025 par la Cour d’Appel de Metz s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle croissante de requalification des relations contractuelles dans l’esport. 

En réaffirmant s’il en était nécessaire la primauté de la réalité de la relation de travail sur la qualification contractuelle donnée par les parties, cet arrêt risque d’être exploité dans un certain nombre de procédures à venir.

Il répond en tout cas d’ores et déjà à plusieurs moyens de défense qui pourraient être avancés par les clubs. L’absence d’agrément ministériel en particulier, ne fera pas obstacle à la requalification.

Dans ces conditions, les clubs doivent s’assurer que leurs pratiques contractuelles sont conformes au droit du travail pour éviter de lourdes conséquences financières.

 

Lien vers la décision : CA Metz, ch. soc. sect. 1, 18 juin 2025, n° 23-02325

 

 

[1] CA Metz, ch.soc., 18 juin 2025, no 23/02325

[2] Cass. soc., 13 nov. 1996, no 94-13.187, Bull. civ. V, no 386

[3] Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-41.712 à 08-41.714 : Bull. civ. V, n° 141.

[4] CA Rouen, ch. soc., 13 juin 2024, n° 22/03196 ; CA Rouen, ch. soc., 29 août 2024, n° 23/00947

[5] C. trav., art. L. 1243-3

[6] Cass. Soc. 3 mai 2018, n°16-22455

 

 

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