Ouverture de la boîte de Pandore : un contrat de prestation de services d’un esportif a été requalifié en contrat de travail !

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Risque de contrôle URSSAF pour les clubs esportifs.

Le 27 mars 2024, un jugement du Tribunal Judiciaire de Paris a considéré qu’un esportif, pourtant engagé sous un contrat de prestation de services, exerçait en fait une activité salariée !

Afin d’apprécier la portée de cet arrêt pour les acteurs de l’écosystème esportif, il convient d’étudier les motivations des juges ayant prononcé la requalification du contrat de prestation de services du joueur en contrat de travail (1/) avant d’analyser les conséquences d’une telle requalification (2/)

 

1/ SUR LA REQUALIFICATION EN CONTRAT DE TRAVAIL

Pour comprendre le raisonnement des juges ayant prononcé la requalification du contrat de travail du joueur, il est indispensable de s’attarder sur les faits qui ont menés à une telle affaire (1/A) avant d’étudier les motifs de la décision (1/B).

1/A SUR LES FAITS DE L’AFFAIRE

💸 Dans cette affaire, l’URSSAF Caisse nationale avait initié une action en recouvrement contre un joueur, affirmant qu’il agissait comme travailleur indépendant et que les revenus qu’il avait perçus devaient donc être assujettis aux cotisations sociales au titre des « bénéfices non commerciaux » conformément à l’article L131-16 du Code de la sécurité sociale.

L’URSSAF se fondait notamment sur l’intitulé du « contrat de travailleur indépendant » que le joueur avait signé avec un club américain pour participer à des compétitions sur Counter-Strike de 2016 à 2017.

Le joueur a contesté cette procédure de recouvrement, arguant que la créance n’était pas justifiée. Selon lui, en vertu des termes du contrat signé avec le club esportif, il exerçait en réalité une activité salariée et non une activité de travailleur indépendant et ce, en dépit de la dénomination donnée au contrat par les parties.

 

1/B SUR LES MOTIFS DE CETTE DECISION

En premier lieu, les juges rappellent que, contrairement au statut de travailleur indépendant, celui de salarié repose sur l’existence d’un lien de subordination juridique, caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné comme énoncé dans l’arrêt Société Générale (Chambre sociale de la Cour de Cassation, 13 novembre 1996, n° 94-13.187).

En effet, l’article L.8221-6-1 du Code du travail dispose qu’ « est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d’ordre ».

Dès lors, afin de déterminer si le joueur exerçait ou non une activité de salariée, les juges étaient tenus d’apprécier si le club esportif disposait ou non d’un lien de subordination à l’égard de ce joueur.

Pour ce faire, les juges vont examiner le contenu du « contrat de travailleur indépendant » qui avait été conclu entre le club et l’esportif.

En l’espèce, les juges vont retenir l’existence d’un lien de subordination du club envers le joueur, concluant que ce dernier exerçait en réalité une activité salariée.

👨‍⚖️ Afin de retenir l’existence de ce lien de subordination, les juges ont examiné plusieurs éléments du contrat et notamment :

    • L’obligation pour le joueur de participer à des compétitions sélectionnées par le club, en portant la tenue de l’équipe ;
    • L’engagement du joueur à réaliser 15 heures hebdomadaires d’entraînement en ligne avec l’équipe, ainsi qu’un minimum de 20 heures de streaming par mois ;
    • L’engagement du joueur à participer à un nombre « raisonnable » d’activités marketing ;
    • L’engagement du joueur à promouvoir l’équipe et la société et à ne pas exercer une activité concurrente à celle de la société ;
    • L’engagement du joueur à s’identifier sur les réseaux sociaux lorsqu’il participe à une activité promotionnelle si la société le demande ;
    • Une rémunération régulière du joueur (en l’espèce mensuelle) entre 4000 et 5000 euros en contrepartie de ses engagements ;
    • L’engagement du club à fournir un hébergement partagé avec les autres membres de l’équipe au joueur ;
    • L’engagement du club à organiser les voyages et les hébergements du joueur pour les compétitions se déroulant à plus de soixante-quinze miles de la résidence de l’équipe ;
    • L’engagement du club à fournir l’équipement de jeu nécessaire au joueur ;
    • La possibilité pour le club de résilier le contrat si le joueur ne remplit pas ses obligations ou s’il est incapable de fournir les services prévus pendant au moins 30 jours consécutifs.

En conséquence, le Tribunal Judiciaire juge la créance de l’URSSAF comme n’étant pas justifiée puisqu’elle se fondait sur la qualité de prestataire de services du joueur et fait droit aux demandes du joueur.

 

2/ SUR LES CONSEQUENCES DE LA REQUALIFICATION

En prononçant une telle décision, les juges semblent avoir strictement appliqué la législation en matière de droit de la sécurité sociale et de droit du travail et ce, sans tenir compte des spécificités de l’écosystème esportif.

Si ce jugement venait à être définitif et dans l’hypothèse où de telles procédures venaient à se généraliser, les conséquences des requalifications pourraient être significatives pour les clubs à la fois à l’égard des joueurs (2/A) mais également à l’égard de l’URSSAF (2/B).

 

2/A SUR LES CONSEQUENCES A L’EGARD DES JOUEURS

En déclarant que les contrats de prestation de services des esportifs pouvait être requalifiés en contrat de travail si un lien de subordination était caractérisé, un tel jugement vient nécessairement renforcer l’insécurité juridique au sein de l’écosystème esportif, notamment en matière de rupture du contrat.

En effet, si le contrat de prestation de services conclu entre un club et un joueur venait à être rompu à l’avenir, le joueur pourrait désormais être tenté d’assigner son club en justice afin qu’un tel contrat soit requalifié en contrat de travail.

Or, une requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail pourrait engendrer d’importantes conséquences pour les clubs puisque :

    • Les joueurs requalifiés en salarié pourraient réclamer toute somme correspondant à un poste salarié équivalent depuis le début de la relation : rappels de salaires, heures supplémentaires, primes éventuelles, indemnités compensatrices de préavis et de licenciement sans cause réelle et sérieuse etc. ;
    • Les clubs pourraient faire l’objet de sanctions pour travail dissimulé, incluant une indemnité pouvant atteindre 6 mois de salaire, s’ils ont sciemment éludé leurs obligations légales, conformément à l’article L8223-1 du Code du travail. Le travail dissimulé est également constitutif d’un délit pénal en vertu de l’article article L8211-1 du Code du travail.
    • Les clubs pourraient faire l’objet de redressements de cotisations sociales avec majoration de retard, notamment sur les sommes qui ont été versées au joueur.

 

2/B SUR LES CONSEQUENCES A L’EGARD DE l’URSSAF

Si la procédure intentée par l’URSSAF a été annulée dans cette affaire, la portée d’un tel jugement pourrait en réalité être favorable à l’URSSAF.

Pour rappel :

    • En matière salariale, l’employeur (le club) est tenu d’affilier son salarié au régime de sécurité sociale correspondant et de verser des cotisations sociales pour le compte de ce dernier ;
    • En présence d’un auto-entrepreneur, c’est le travailleur indépendant (le joueur par exemple) qui est tenu de s’affilier et de régler les cotisations sociales pour son propre compte.

Par conséquent, si un contrat de prestation de services entre un club et un joueur comporte un lien de subordination, l’URSSAF pourrait, à l’avenir, envisager de procéder à un redressement du club concerné pour non-paiement des cotisations sociales dues sur les rémunérations versées au joueur.

Compte tenu de tout ce qui précède, il est probable que l’URSSAF intensifie les contrôles fiscaux à l’égard des clubs esportifs.

 

📍 Pour prévenir ces complications :

    • Pour les contrats déjà en vigueur : une analyse spécifique permettrait de déterminer s’il est nécessaire de les modifier et,
    • Pour les contrats futurs, une rédaction rigoureuse des contrats s’impose du côté des clubs.

Dans ce contexte, le CDD Esportif, souvent décrié, pourrait retrouver les faveurs des clubs. Il n’en reste pas moins qu’une réforme de cette CDD Esportif est indispensable pour mieux répondre aux enjeux du secteur.

Sachez que VICTOIRE AVOCATS fournit des conseils stratégiques et personnalisés pour répondre au mieux à vos besoins.

N’hésitez pas à nous contacter (j.lombard@victoire-avocats.eu) si vous souhaitez que nous vous transmettions la décision intégrale.

 

ENGLISH Version/ Version ANGLAISE

Pandora’s box has been opened: an esport player’s services contract has been reclassified as an employment contract!

Risk of URSSAF checks for esports clubs

⚖ On 27 March 2024, a ruling by the Paris Tribunal Judiciaire held that an esport player, despite being employed under a services contract, was in fact carrying out a salaried activity!

In order to assess the significance of this ruling for the clubs, we need to examine the reasons given by the judges who ruled that the player’s contract for the provision of services should be reclassified as an employment contract (1/) before analysing the consequences of such a reclassification (2/).

 

1/ ON THE RECLASSIFICATION OF THE EMPLOYMENT CONTRACT

To understand the judges’ reasoning, it is essential to look at the facts leading up to the case (1/A) before examining the grounds for the decision (1/B).

 

1/A ON THE FACTS of the case

💸 In this case, the URSSAF Caisse Nationale initiated a recovery action against a player, claiming that he was acting as a self-employed worker and that the income he had received should therefore be subject to social security contributions (“non-commercial profits”) in accordance with Article L131-16 of the French Social Security Code.

URSSAF relied in particular on the title of the “self-employed worker contract” that the player had signed with an American club to take part in Counter-Strike competitions from 2016 to 2017.

The player contested this collection procedure, arguing that the debt was not justified. In his view, under the terms of his contract, he was in fact working as an employee and not as a self-employed worker, despite the title given to the contract by the parties.

 

1/B ON THE GROUNDS FOR THIS DECISION

Firstly, the judges point out that, unlike the status of self-employed worker, that of employee is based on the existence of a legal relationship of subordination. The latter is characterised by the performance of work under the authority of an employer who has the power to give orders and instructions, to monitor their execution and to penalise the failings of his subordinate, as set out in the Société Générale precedent (Social Division of the Court of Cassation, 1996, no. 94-13.187).

Article L.8221-6-1 of the French Labour Code states that “a self-employed person is presumed to be one whose working conditions are defined exclusively by himself or by the contract defining them with his principal“.

Therefore, in order to determine whether or not the player was working as an employee, the judges were led to assess whether or not the esports club had a subordinate relationship with the player.

To do this, the judges will examine the content of the “self-employed worker contract” that had been concluded between the club and the player.

❗ In this case, the judges found that the player was under subordinate relation with regard to the club. They therefore concluded that the player was in fact working as an employee.

👨‍⚖️ In order to establish the existence of this subordinate relationship, the judges examined several elements of the contract, in particular :

    • The obligation for the player to take part in competitions selected by the club, wearing the team uniform;
    • The player’s commitment to carry out 15 hours of online training per week with the team, as well as a minimum of 20 hours of streaming per month;
    • The player’s commitment to take part in a ” reasonable “ number of marketing activities;
    • The player’s commitment to promote the team and the company and not to engage in any activity that competes with the company’s activities;
    • The player’s commitment to tag his name on social networks when taking part in a promotional activity if the company so requests;
    • Regular payment of between €4,000 and €5,000 for the player’s commitments (a monthly fee in this case);
    • The club’s commitment to provide the player with accommodation shared with other team members;
    • The club’s commitment to organise the player’s travel and accommodation for competitions taking place more than seventy-five miles from the team’s home;
    • The club’s commitment to provide the player with the necessary gaming equipment;
    • The possibility for the club to terminate the contract if the player does not fulfil his obligations or if he is unable to provide the planned services for at least 30 consecutive days.

As a result, the Paris Tribunal Judiciaire ruled that URSSAF’s claim was unjustified because it was based on the player’s status as a service provider, and then upheld the player’s claims.

 

2/ ON THE CONSEQUENCES OF THE RECLASSIFICATION

In reaching this decision, the judges seem to have strictly applied social security and employment legislation, without taking into account the specific characteristics of esports.

If this ruling were to become final and if such procedures were to become widespread, the consequences of reclassification could be significant for clubs, both with regard to the players (2/A) and with regard to URSSAF (2/B).

 

2/A ON CONSEQUENCES FOR PLAYERS

By declaring that contracts for the provision of services by espports players could be requalified as employment contracts if a relationship of subordination was characterised, such a ruling necessarily reinforces the legal uncertainty within the esports ecosystem, particularly in terms of breach of contract.

If the service contract between a club and a player were to be terminated in the future, the player could be tempted to take his club to court to have the contract reclassified as an employment contract.

However, reclassifying a service contract as an employment contract could have major consequences for clubs, since :

    • Players who are reclassified as employees may claim any amount corresponding to an equivalent salaried position since the beginning of the relationship: back pay, overtime, bonuses, compensation for notice and dismissal without real and serious cause..;
    • Clubs may be subject to penalties for undeclared work, including compensation of up to 6 months’ salary, if they have knowingly evaded their legal obligations, in accordance with article L8223-1 of the French Labour Code. Undeclared work is also a criminal offence under article L8211-1 of the French Labour Code.
    • Clubs could be subject to adjustments in social security contributions with late payment surcharges, particularly on sums paid to the player.

 

2/B ON THE CONSEQUENCES FOR URSSAF

Although the proceedings brought by URSSAF were annulled in this case, the scope of such a ruling could actually be favourable to URSSAF.

As a reminder:

    • In the case of employees, the employer (the club) is required to register its employee with the relevant social security scheme and to pay social security contributions on the employee’s behalf;
    • In the case of an auto-entrepreneur, it is the self-employed worker (the player, for example) who is required to join the scheme and pay social security contributions on his or her own behalf.

Consequently, if a contract for the provision of services between a club and a player involves a subordinate relationship, URSSAF could, in the future, consider reassessing the club concerned for non-payment of the social security contributions due on the remuneration paid to the player.

In view of the above, URSSAF is likely to step up its tax inspections of esports clubs.

 

📍 To prevent these complications:

    • For contracts already in force: a specific analysis would determine whether they need to be modified and,
    • For future contracts, rigorous contract drafting is essential on the club side.

In this context, the often-criticized CDD Esportif (an esport-specific fixed-term contract in France) could regain favor with clubs. Nevertheless, a reform of the CDD Esportif is essential to better meet the challenges of the sector.

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Please do not hesitate to contact us (j.lombard@victoire-avocats.eu) if you would like to receive the full decision.

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