Episode 11 – Droit à l’esport – Entretien avec Christine KEV

Pour le onzième épisode du podcast « Droit à l’Esport », j’ai eu le plaisir de discuter avec Christine Kev, une grande spécialiste des sujets de diversité et d’inclusion au sein de l’écosystème esportif.

Christine est membre des conseils d’administration de France Esports et de Women in Games France. Au sein de ces structures, elle œuvre quotidiennement pour promouvoir l’inclusion et la mixité au sein de l’esport français, tout en développant des ressources pour les joueurs et les organisateurs de tournois.

Depuis 2023, Christine occupe également le poste de référente pédagogique au NECC, où elle encourage une pratique encadrée des jeux vidéo pour tous les publics, notamment afin de favoriser la réussite scolaire et l’insertion professionnelle.

Afin de pouvoir profiter pleinement de l’expérience de Christine, ce nouvel épisode du podcast est dédié à la responsabilité des organisateurs et organisatrices d’évènements esportifs.

Au cours de cet échange, nous commencerons par rappeler les mesures de prévention que les organisateurs et organisatrices de tournoi peuvent mettre en place en amont d’une compétition pour protéger efficacement les joueurs et les joueuses contre tout comportement inapproprié. Christine soulignera l’importance, pour les organisateurs, d’établir des règlements intérieurs ou des chartes de bonne conduite afin de pouvoir sanctionner aisément de tels comportements.

Christine reviendra également sur les procédures que les organisateurs et organisatrices de tournoi peuvent instaurer pour faire face à une conduite inappropriée pendant et après leurs évènements. Elle insistera alors sur la nécessité de former les organisateurs sur ces problématiques.

Enfin, Christine nous fera part de sa vision de l’esport pour les années à venir, en rappelant la nécessité de clarifier l’obligation d’honorabilité des acteurs esportifs.

Comme vous en avez désormais l’habitude, je vous encourage à rester jusqu’à la fin de l’épisode pour écouter notre synthèse juridique portant sur l’obligation de sécurité des organisateurs d’évènements esportifs, les infractions pénales pouvant survenir lors de ces évènements ainsi que l’obligation d’honorabilité des acteurs esportifs.

Je tiens à remercier Christine pour son implication totale dans ce podcast ainsi que pour les idées et les exemples pertinents qu’elle nous a apportés.

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Retranscription de l’épisode :

Julien Lombard : Bonjour Christine. Merci beaucoup de participer à ce nouvel épisode de Droit à l’Esport.

Christine Kev : Et bien bonjour à tous et merci beaucoup pour l’invitation.

Julien Lombard : Est-ce que tu peux commencer peut-être par te présenter et nous raconter ton histoire personnelle avec l’esport ?

Christine Kev : Alors du coup, moi je me présente, je m’appelle Christine, j’ai aujourd’hui 33 ans et ça fait quinze ans que j’ai commencé dans l’esport. D’abord en tant que joueuse amateure sur la licence Super Smash Bros Melee, donc invité par des amis pour y jouer d’abord à la fac, puis après j’ai commencé les tournois comme ça. Et par la suite, je me suis prise de passion pour le jeu. Je me suis vite intéressée aux coulisses, déjà en constatant très vite que j’étais l’une des seules joueuses en France sur ce jeu-là particulièrement. Mais plus globalement, on constatait effectivement une absence quasi totale de femmes dans l’esport. Donc je me suis assez vite engagée sur ces questions en créant notamment des groupes en non-mixité de joueuses, mais je pense l’occasion d’en discuter. Et puis, par la suite, je me suis engagée dans d’autres associations dont France Esports où je suis élue depuis maintenant cinq-six ans, depuis 2019, pour justement passer un cap et pouvoir structurer l’esport français et notamment sur les questions d’inclusion, de diversité et de protéger les joueurs et joueuses. Et encore plus récemment, pour aller plus loin dans mon engagement, je suis élue au conseil d’administration de Women in Games France.

Julien Lombard : D’accord. Et au-delà de ces multiples engagements associatifs, est-ce que professionnellement aussi tu es toujours attachée à l’esport ? Est-ce que tu travailles dans le monde de l’esport ?

Christine Kev : Ouais. Alors pendant longtemps, j’ai eu une sorte de carrière parallèle puisque je ne travaillais pas du tout dans l’esport. Mais maintenant je travaille donc au National Esport Club and Community. Donc qui est un club esport amateur et qui a la particularité d’utiliser l’esport comme un levier d’inclusion sociale. Et moi j’y suis la référente pédagogique. Donc moi typiquement, je vais plutôt transformer l’esport, détourner son utilisation pour aller vers les questions de réussite éducative, d’insertion professionnelle des jeunes, entre autres.

Julien Lombard : On avait discuté un petit peu en amont de cet épisode, Christine, pour voir quelles pouvaient être les sujets qui étaient abordés. Parce que tu travailles tellement dans de multiples mondes ou secteurs de notre écosystème esportif que c’était bien d’essayer de se fixer sur un sujet en particulier. Et en fait, en en discutant avec toi, c’est vrai que ce qui pouvait être intéressant pour les auditeurs, c’est de le voir par le prisme des compétitions et de le voir en effet avec un côté un petit peu chronologique de la compétition et d’avoir des problématiques que tu avais pu rencontrer soit par des témoignages qu’on t’avait prodigué, soit par toi-même, des prises de contact avec les uns et les autres et qui t’ont permis d’avoir des informations ou de même vivre des choses qui entraînaient des problématiques juridiques et qui est toujours l’objet de ce podcast et donc de le voir de ce côté chronologique, à la fois avant la compétition, pendant la compétition et après la compétition. C’est un petit peu l’idée de ce podcast, juste pour que les auditeurs sachent un peu où on va aller. Donc, par principe, déjà, on sait que lorsqu’on parle d’une compétition esportive, on a un organisateur qui est tenu d’organiser cette compétition et il a certaines obligations, notamment une obligation de sécurité à l’égard à la fois des participants mais aussi des visiteurs. Et là on va s’attacher plus précisément à ces participants ou participantes. Et pour vérifier comment de ton expérience et de ce qu’on a pu te partager, comment les organisateurs se préparent à ce type de compétition. Donc ma première question et là tu vas pouvoir rentrer toi, dans le vif du sujet et de faire part de ton expérience. C’est quels sont les dispositifs que les organisateurs ont pu mettre en place en amont de ces événements afin justement d’assurer la sécurité des participants et la sécurité des spectateurs ?

Christine Kev : Alors déjà, il faut bien qu’on soit conscient que tout dépend de la taille de l’événement, et c’est pas du tout le même dispositif de sécurité lorsqu’on est dans un tout petit local à destination de dix, quinze, vingt joueurs, que lorsqu’on veut organiser un super gros événement, un Major qui la demande bien évidemment plein de dispositifs de sécurité. Bien évidemment, tous ces dispositifs sont déjà encadrés dans le milieu de l’événementiel à travers le Code de la sécurité intérieure qui donne déjà des bases en fonction du nombre de participants et donc globalement dans le monde de l’esport. Là, je vais plutôt m’intéresser aux petits événements qui sont en fait ce qui se passe dans les trois quarts des cas. Il y a très peu en réalité de dispositifs déjà mis en place. C’est à la discrétion de chacun, on dirait. Il n’y a pas de règles prédéfinies, d’agents de sécurité, de personnes dédiées. C’est un petit peu à la bonne franquette, quoi. C’est avec les sensibilités de chacun de mettre en place, bien évidemment, souvent c’est un règlement de l’association, en tout cas des associations et encore, il n’y en a pas forcément beaucoup lorsqu’elles ne sont pas constituées en structure associative ou même en structure associative, de mettre en place un règlement intérieur au sein de leur événement. Mais lorsqu’elles le mettent, voilà, c’est, on va dire le minimum. Et après il y en a qui vont un peu plus loin sur des chartes de bonne conduite, mais en général ça se fait un petit peu à la discrétion de chacun, parce qu’on considère qu’en fait il y a des choses qui sont juste inacceptables de base. On se soumet tous à la loi française et si on enfreint la loi, on est de fait amené à ne plus pouvoir être dans ces évènements. Mais voilà, il n’y a pas de dispositif spécifique.

Julien Lombard : Ce que tu dis, c’est intéressant, c’est que, en fait, c’est le règlement intérieur, soit le règlement intérieur de l’association en tant que tel, soit le règlement intérieur de l’événement, le règlement qui va en fait entraîner la possibilité pour les participants de pouvoir entrer dans le tournoi. Et c’est ça qui va être le cadre légal, en vérité, au-delà du cadre légal, que tu visais de manière générale, qui est le cadre légal à la fois au niveau du Code civil, du Code de commerce ou du Code pénal, mais, on va dire, le cadre légal spécifique à cet événement.

Christine Kev : C’est ça, effectivement, en sachant que des événements dépendent aussi des lieux dans lesquels ils sont accueillis. Moi, j’ai souvent fait des tournois dans des lieux festifs, des bars et autres. Donc en fait, on est aussi sujet à la réglementation dédiée au bar. Là moi, par exemple, je parle de mon lieu de travail, le NECC. Nous, on est considéré comme un ERP, donc un établissement recevant du public. On a des obligations et donc les tournois qui se passent chez nous sont soumis et au règlement de l’association, mais aussi aux règles générales liées à un ERP, quoi.

Julien Lombard : Et alors. Donc, sur cette rédaction ou ce contenu, on va dire, des règlements intérieurs, qu’est-ce que toi tu as pu voir de particulier spécifique à l’esport ? Qu’est-ce que toi tu as pu voir, ou de témoignages qu’on a pu te faire sur tel ou tel événement, sans donner de nom si tu veux, mais en tout cas plutôt sur des exemples assez spécifiques de ce qu’il faut faire ou de ce qu’il ne faut pas faire dans ce type de document.

Christine Kev : Moi j’incite toutes les structures à avoir un règlement intérieur parce que c’est pas toujours le cas.

Julien Lombard : D’accord important.

Christine Kev : Il y en a effectivement qui se sont retrouvés à devoir en mettre un en place parce qu’ils se sont retrouvés face à des comportements problématiques mais qui juridiquement parlant, sont flous à gérer, sont difficiles à gérer pour une association. Du coup, qu’est-ce qu’on fait quoi ? Parce que forcément, on n’est pas tous à cheval sur les règles juridiques et comment on gère quelqu’un. Donc en général, moi ce que je préconise, c’est déjà mettre en place un règlement au moins d’événement avant de mettre un règlement de structure, parce que tous ne sont pas sous structure, et de mettre en place des choses dédiées à des dispositifs d’exclusion. Souvent on pense quand je dis règlement d’un événement, on pense au règlement lié aux tournois, notamment les conditions d’inscription, comment va fonctionner le tournoi et on va penser aussi aux dispositifs liés aux tournois en tant que tel, c’est à dire la triche, la consommation de substances dopantes, bref, des choses qu’on a tendance à penser lorsqu’on pense à une compétition. Mais on ne va pas forcément penser aux attitudes autour : quelqu’un qui dégrade du matériel, quelqu’un qui va insulter un autre joueur. En gros, tout ce qui relève des valeurs de fair play, de comportement social classique, et ça souvent c’est pas inscrit. Alors bien évidemment, on va se dire ça paraît logique. Quelqu’un qui a insulté un autre joueur, c’est répréhensible, il s’en va. Mais comme ce n’est pas inscrit, et bien en réalité, on n’a pas beaucoup d’armes contre la personne, notamment lorsqu’on veut qu’elle ne revienne plus parce qu’on a envie de la sanctionner face à un comportement problématique. Et lorsqu’on n’a pas écrit de règlement intérieur ou rien, et bien c’est compliqué en fait d’avoir des éléments tangibles pour sanctionner des comportements problématiques. Donc ça, ce sont des choses qui sont souvent revenues. C’est je ne sais pas quoi faire face à un comportement problématique. Et lorsque je regarde comment la structure s’est débrouillée, il y a pas mal de cas où la structure n’avait même pas de règlement ou de paragraphes liés à ces éléments-là.

Julien Lombard : Justement, à ce type de comportement.

Christine Kev : À ce type de comportement où voilà. De se dire, en fait, tout comportement mettant en difficulté l’événement : dégradation physique, matérielle, on demande pas d’avoir. Alors moi j’ai des choses hyper poussées bien évidemment, mais ne serait-ce que de juste de dire on n’accepte pas les comportements problématiques, discriminations, tout ça tout ça. L’organisateur se réserve le droit de vous exclure de l’événement et à partir du moment où il y a acceptation par inscription de ce règlement, il y a déjà quelque chose sur lequel l’organisateur peut se baser lorsqu’il décide d’exclure quelqu’un.

Julien Lombard : Là, on est sur la phase où c’est pendant l’événement ou la compétition, ou après. Si on se met dans la phase en amont. Est-ce que tu as eu des expériences, des retours d’expérience sur le fait qu’il y avait un organisateur qui était confronté à une demande de participation d’une personne ? Une personne qui avait par exemple soit été accusée soit même pire avait été condamnée ou en tout cas sanctionnée pour des propos sexistes ou même des actes d’agression sexuelle ou autre, ou de manière générale, des comportements qui n’étaient pas en phase avec les valeurs de la compétition. Est-ce que ça, c’est déjà arrivé que des personnes veuillent rentrer alors qu’elles ont été soit sanctionnées, soit accusées ? Et à ce moment-là, comment répondait l’organisateur ?

Christine Kev : On a plusieurs exemples de personnes ayant été accusées avec preuves, effectivement d’allégations d’auteurs de violences, et aujourd’hui, les organisateurs décident tout bêtement de bannir ces personnes. Elles déclarent que la structure ne souhaite pas recevoir ces personnes. Après elle le font de manière différente. Soit, elles le font de manière publique, elles font un communiqué : “Bonjour, cette personne est bannie de nos tournois ad vitam aeternam ou sur une période donnée” ou ils le font de manière plus discrète, c’est à dire qu’ils envoient un message à la personne en disant : “Bonjour, au vu des informations que nous avons récoltées sur toi, merci de ne pas venir”. Il y a ce genre de choses qui se font alors de manière informelle et on va pas se cacher des fois on a aussi lorsqu’on a, on s’échange, on a des groupes d’organisateurs et autres et bien évidemment, notamment sur la scène Smash, nous on a eu des cas très graves de violences sur mineurs et typiquement, en fait, il faut qu’on soit unanime. Ça pose aussi les questions de modèle fédéral ou pas. Mais comme il n’y a pas de modèle de fédération et que notamment nous, on est typiquement sur un esport où l’éditeur n’est pas présent.

Julien Lombard : Sur la scène Smash Bros justement.

Christine Kev : On ne peut pas demander à l’éditeur : bonjour, pouvez-vous faire un communiqué pour dire que cette personne n’est pas admise sur les tournois en France ? Il n’y a pas ça. Donc on est obligé de s’auto-organiser. Donc qu’est-ce qu’on fait ? C’est que parfois, notamment sur la scène Melee, on avait un groupe avec tous les organisateurs et organisatrices d’événements, et notamment sous l’égide de l’association française Le French Melee, qui est un rassemblement d’associations. En fait, l’association mère faisait une analyse d’un dossier. Voilà, elle reçoit un dossier avec des potentiels faits et elle prend une décision préventive pour inciter. Ce n’est jamais une interdiction puisqu’on ne peut pas interdire, c’est de dire : nous recommandons de ne pas accepter cette personne dans les tournois. Donc après les structures suivent ou pas, mais c’est ce qui se fait aujourd’hui en terme préventif. Bien évidemment, ça pose aussi un autre débat juridique, c’est le côté préventif, c’est bien, mais en fait, en général il n’y a pas de base juridique. C’est sur l’appréciation. Par exemple, la victime décide de parler et c’est tant mieux. Mais il n’y a pas de poursuites juridiques, c’est-à-dire.

Julien Lombard : Un dépôt de plainte ou une main courante.

Christine Kev : Voilà. Parce que notamment je te parlais du cas de la mineure en question, son dépôt de plainte a été refusé et du coup on peut s’exposer à des risques de diffamation. Et aujourd’hui, il y a beaucoup d’organisateurs qui sont démunis face à cette problématique. Moi aujourd’hui, parce que je n’ai pas mis en place de dispositifs préventifs, parce que je n’ai pas de base juridique sur laquelle me baser pour pouvoir bannir une personne, pour justement assurer la protection de mes joueurs. Et bien je ne peux pas officiellement l’interdire de venir. Je peux la dissuader, mais si elle décide de s’inscrire, je n’ai pas de raison de ne pas l’accepter. Alors aujourd’hui, c’est un peu l’objet du podcast. C’est entre autres démontrer qu’il y a plusieurs manières d’interdire une personne de venir en tournoi. Mais c’est vrai qu’elles ne sont pas aussi simples que juste de dire : je déclare que la personne est interdite et que la personne décide de suivre la décision.

Julien Lombard : Et justement, tu as des exemples d’organisateurs qui ont refusé que certaines personnes entrent dans le tournoi et qu’ensuite cette personne en fasse état publiquement, annonce des poursuites, notamment pour diffamation ?

Christine Kev : C’est déjà arrivé malheureusement d’avoir des annonces publiques. Effectivement des déclarations assez virulentes sur le fait qu’aujourd’hui, comme il n’y a pas d’acte juridique actuel, que c’est pure diffamation de refuser le joueur et de menacer à réaliser des poursuites, parce qu’aujourd’hui, comme l’esport se professionnalise, c’est aussi des enjeux. Plus que de ne pas pouvoir aller à son tournoi de son quartier.

Julien Lombard : Et dans ce cas-là, l’organisateur avait rétropédalé ou il avait maintenu…

Christine Kev : Ça dépend,

Julien Lombard : Ça dépend ?

Christine Kev : Il y a des personnes qui rétropédalent, c’est-à-dire que celles qui n’ont pas fait état, de ne pas avoir fait de communication, elles, elles peuvent plus facilement rétropédaler parce qu’elles n’ont pas fait de communication, donc plus simple de rétropédaler. Souvent, celles qui ont quand même fait une déclaration publique, en général, elles restent sur leur décision et elles se disent : “ben c’est tout, je m’exposerais et j’assumerai les conséquences”. Il y en a qui préfèrent prendre le risque de potentiellement se faire poursuivre en justice pour discrimination.

Julien Lombard : Bien sûr. Et aujourd’hui, sauf erreur, on n’a pas de décision de justice quand il y a ça.

Christine Kev : Je n’ai pas en tête de décision de justice faisant état d’un acte de discrimination entre un organisateur et un joueur ou une joueuse qui s’est fait bannir d’un tournoi. Il y a même en Europe, on n’a pas de cas pour l’instant.

Julien Lombard : Ok, super intéressant sur cette première partie qui est donc la partie en amont. Maintenant, passons à l’étape où on est en compétition. On est en compétition et là, est ce que tu as des retours, d’organisateurs ou de participants qui t’ont déjà fait part de la façon dont ils ont réagi lorsqu’il y avait justement des faits de comportements inacceptables, de violences, d’insultes qui leur a été rapporté pendant les événements ? Est-ce que ça, malheureusement, c’est des choses qui arrivent ?

Christine Kev : Oui, malheureusement. Évidemment, moi-même j’en ai été témoin, de faits entre guillemets mineurs. C’est-à-dire que voilà quelqu’un qui, sur le coup de la colère, se met un peu à être pas fair play face à son adversaire. Évidemment, lorsqu’on est directement témoin, on agit direct. On met deux personnes sur le bas-côté, on voit comment aussi elle redescend en pression. Par exemple, typiquement, si j’ai une personne qui s’est énervée parce que la défaite, la gestion des émotions que je lui fais savoir que ce n’est pas normal, que c’est pas ok. Voilà, il y a un avertissement sur place. Soit la personne voilà tout de suite s’excuse directement et autres. Là par exemple, c’est lorsqu’il y a eu, comme je dis, une insulte. Alors bien sûr, ça dépend de l’insulte bien évidemment, ou de comment est montée en pression la personne. En tout cas lorsqu’il y a quelque chose de visible et de palpable. En fait, en général, on ne prend pas de gants et les organisateurs ont là les moyens tout de suite de dire bah là, on a été témoins visuellement, directement d’un cas qui s’est passé, donc on s’en va. Alors, après, il y a le cas où les arbitres ou les organisateurs n’ont pas été témoins directement des faits. Ça peut arriver, surtout dans des tournois où il y a une centaine de personnes qui se rassemblent sur des cas de violences sexistes et sexuelles.

Christine Kev : Et en fait, ça, c’est toujours un peu compliqué, notamment sur les violences sexistes et sexuelles, à part effectivement lorsque c’est avéré, clair, net. Mais notamment en tant que femme, on le sait, la drague lourde, c’est parfois compliqué à gérer parce qu’il y a un peu ce côté de mais c’est pas grave. On peut se dire mais : “en fait, je suis pas là pour être un bout de viande”. Et ça, ça demande à ce que des organisateurs soient parfois formés à reconnaître ces signes, parce que ça, c’est aussi à l’appréciation de chacun. Mais en tout cas voilà, partons du principe que la personne soit formée, ben de prendre le temps avec la personne pour lui expliquer que ce n’est pas ok de suivre une fille partout dans l’événement et d’essayer de lui parler de force si elle ne veut pas te parler ou en tout cas d’être insistant. Et après, effectivement, s’il y a eu des actes, des choses en général, on va pas se mentir, les victimes ont du mal à parler sur l’instant T parce qu’elles sont sidérées, parce que elles veulent pas faire de vagues, parce qu’en général…

Julien Lombard : Elles sont gênées quoi, c’est ça toujours le problème.

Christine Kev : Elles sont gênées, elles sont gênées.

Julien Lombard : Elles ont l’impression que c’est de leur faute.

Christine Kev : C’est ça. Je reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles les victimes ne parlent pas toujours tout de suite, mais c’est le cas. Et donc lorsqu’elles arrivent à parler immédiatement, en général déjà, on accueille la victime.

Julien Lombard : C’était ma question suivante, c’est à dire comment les organisateurs accueillent les victimes, comment les victimes sont prises en charge ? Est-ce-que, il commence à y avoir des règles spécifiques un peu là-dessus, Alors, que ce soit de manière formelle, dans le cadre du règlement intérieur ou dans le cadre informel, de se dire : “voilà comment on essaie de faire, nous, généralement, quand ça arrive”.

Christine Kev : Non, rarement. Il y a rarement des dispositifs affichés sur l’accueil de victimes, peu importe. Là, on parle spécifiquement des violences sexistes et sexuelles, mais ça pourrait effectivement quelqu’un qui est victime de racisme, d’homophobie, de transphobie, peu importe. Quiconque est victime d’un certain type de violences dans l’esport peut recourir à des dispositifs, mais qui sont rarement mis en place.

Julien Lombard : C’est ça en fait, c’est qu’aujourd’hui, de par ton expérience, les organisateurs ne mettent pas en place pendant l’événement un dispositif spécifique pour l’accueil des victimes de quelques comportements ou propos que ce soit pendant l’événement.

Christine Kev : C’est très rare. C’est plutôt à l’appréciation des personnes. Voilà, c’est : “on sait que l’organisateur, si vous vous rencontrez un problème, vous allez le voir”. La personne prend la mesure du problème et à sa discrétion, prend une décision plus ou moins rapide.

Julien Lombard : Est-ce que tu as des associations, typiquement Women in Games qui est un bon exemple, qui fait un travail spécifique là-dessus pour influencer les organisateurs ou les inviter à mettre en place ce genre de choses ? Est-ce que c’est des choses qui sont en cours ou ça se fait encore une fois de manière plus informelle, un peu au cas par cas ?

Christine Kev : Ça se fait de manière assez informelle. Alors France Esports avait déjà fourni des éléments dans son guide de l’organisation dédié à la diversité sur la mise en place de codes de conduite inclusifs et autres. Mais on n’a pas fourni de dispositif clé en main. Justement, on est en train d’en travailler un chez France Esports parce que c’est une véritable demande de la part des organisateurs et organisatrices pour vraiment pouvoir sereinement accueillir les victimes et avec un dispositif spécifique. Parce qu’aujourd’hui, pendant les événements donc, comme je le disais, c’est à la discrétion des organisateurs, mais ça demande d’avoir confiance en eux. Or, malheureusement, il y a plusieurs cas où j’ai eu des témoignages me disant : “bah en fait, j’ai fait part de mon problème et on a minimisé ma parole, on n’a pas donné des suites vraiment concrètes à mon cas”. Et après c’est un phénomène qui s’appelle le top player privilege, donc lorsque ça concerne des gros joueurs, en fait, on a du mal aussi à vouloir agir directement contre eux parce que ça reste des figures publiques, ça reste des gens qui génèrent beaucoup de choses et ça reste des gens avec du poids. Donc en fait, l’esport reste un petit monde. Les gens sont potes avec machin qui est pote avec machin et donc c’est difficile en fait de vouloir agir directement contre son pote parce qu’on a envie de croire que la personne est fondamentalement bonne et ce que je peux comprendre aussi. Et du coup ça génère aussi beaucoup de difficultés. Et en rajoutant ça en plus, la question de l’éducation, même des organisateurs et organisatrices à ces questions-là spécifiques. Beaucoup de gens par exemple ne connaissent pas le terme VSS qui est l’acronyme pour Violences Sexistes et sexuelles. Moi à ce jour, j’ai envie de dire, depuis la vague MeToo, alors après je peux être biaisée, mais c’est difficile pour moi de ne pas comprendre pourquoi les gens ne sont pas sensibilisés à ces questions-là. Donc aujourd’hui, en tant qu’organisateur, il y a aussi un devoir d’être un peu plus formé sur ces questions pour assurer plus sereinement ce rôle de modérateur lorsqu’ils se retrouvent face à un comportement problématique.

Julien Lombard : On a cet exemple d’ailleurs dans le cadre de boîte de nuit où je crois qu’il y a maintenant des mécanismes automatiques de prise en charge de victimes et tout de suite de conservation des images de vidéosurveillance, de protection de la victime pour qu’elle soit isolée, qu’elle puisse échanger si elle le souhaite ou en tout cas mise en relation avec des forces de police si besoin, ou en tout cas, encore une fois, lui permettre de prendre du recul et de pouvoir formaliser, verbaliser ce qu’elle vient de vivre, c’est ce genre de choses qui existent. Je crois que l’un des exemples assez récents, c’était pour un joueur de football assez connu en Espagne, qui a fait l’objet d’un procès il n’y a pas longtemps et sur lequel je lisais justement qu’il y avait eu un mécanisme spécifique dans les boîtes de nuit qui a été mis en place. À ce jour, on n’a pas ça dans l’esport.

Christine Kev : Non, on n’a pas ça dans l’esport, en tout cas pas à ma connaissance, peut être que je serai étonnée. Pour avoir fait pas mal de recherches, je n’ai pas de dispositif. Voilà, sur l’esport, évidemment, en France, il y a de plus en plus de collectifs et de dispositifs, surtout dans les lieux festifs, surtout dans le monde des festivals culturels, voire dans le sport. Mais dans l’esport, c’est encore très jeune, très frais. Si tu veux, même si beaucoup ont cette volonté, on est dans un secteur principalement amateur, avec peu de moyens et en général, lorsqu’on veut organiser un événement, c’est pas le premier sujet qu’on va aborder jour un. On va d’abord essayer de faire en sorte que l’événement soit à l’équilibre, bénéficiaire ce serait génial, s’il est déficitaire, on essaie de limiter la casse. Voilà, moi souvent j’ai des structures qui me disent : “ah mais en fait c’est pas qu’on veut pas, c’est que j’ai pas les moyens de mettre mes efforts là-dessus”.

Julien Lombard : Je comprends. On pourrait éventuellement envisager même au moins des process et des mécanismes un peu standards, sans que forcément ça soit quelque chose qui entraîne un coût financier.

Christine Kev : Nan parce qu’effectivement, pour beaucoup de choses qu’on a travaillé chez France Esports, l’idée c’est que ce soit potentiellement mis en place par n’importe qui sans que ça demande de moyens financiers supplémentaires, parce qu’on le sait, c’est sûr que si on vient proposer une solution qui est hors de prix, elle ne sera jamais applicable. L’idée, c’est vraiment de pouvoir mettre des petites choses en place, rapide et efficace pour commencer quelque part, justement sur ces questions-là de protection des pratiquants et des pratiquants et espérer dans un premier temps avoir un soft power sur ces questions-là.

Julien Lombard : Toujours au cours de la compétition, est-ce que tu as en effet des expériences ou des retours d’expériences sur des exclusions par l’organisateur pendant la compétition ? C’est-à-dire, voilà, comme tu dis, on a été informé que, et donc-là on va inviter la personne qui était à l’origine de telle ou telle violence, physique ou verbale, à partir. Et si c’est le cas, comment les choses se passaient ? Est-ce qu’elles se passaient de manière exclusivement physique ? Est-ce qu’elles se passaient par des appels aux forces de police ? Voilà. Est-ce que ça se basait justement sur le règlement intérieur, en tout cas, pour ceux qui avaient un règlement intérieur et qui visaient ce genre de process ? Quel est ton retour là-dessus ?

Christine Kev : Alors moi, malheureusement, je n’ai pas eu de cas-là assez récent. J’ai eu effectivement des retours, mais c’était souvent sur des cas on va dire manifestement assez graves pour que lorsqu’une bagarre éclate en plein milieu d’un tournoi, bon, c’est pas très compliqué en fait, on prend manu militari la personne et on lui dit gentiment prends tes affaires et vas t’en quoi. Donc voilà. Mais en général, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que c’est des choses qui se passent sous les yeux de tous et qui ne peuvent pas être gérées en direct, très rarement. Parce que justement, à moins que ce soit quelque chose de très facilement visible, c’est malheureusement pas souvent le cas. Lorsque c’est manifeste, comme je disais, c’est facile parce qu’on peut directement agir et mettre la personne, et là on va dire que ça reste un événement communautaire. Donc les gens comprennent assez vite qu’une bagarre on laisse pas passer, même si c’est le pote de. Après c’est les conséquences post événement où c’est parfois difficile à gérer. Mais lorsque c’est quelque chose de visible et de facile à prouver, là il n’y a pas de débat, la personne on lui dit gentiment : “écoute, t’es bien gentil, t’es bien mignon, mais tu vas gentiment prendre la porte” parce qu’effectivement sinon on se dit on n’hésitera pas à recourir à d’autres moyens. Mais en général, comme je le disais, ce sont des choses difficiles à capter et qui sont peu remontées. Et là c’est plutôt a posteriori qu’on doit gérer.

Julien Lombard : Avant qu’on arrive sur justement ce côté a posteriori, c’est à dire après l’événement, pendant l’événement, quels sont tes retours aussi sur les témoins de ce type de violences verbales ou physiques ? Est-ce qu’il y a quand même dans le secteur, un a priori plutôt favorable des témoins ? C’est-à-dire que les gens sont quand même assez ouverts et diligents à voir, faire état, de ce qu’ils ont pu voir et d’essayer d’alerter l’organisateur ou d’alerter des associations comme France Esports, Women in Games, sur ce qui s’est passé. Est-ce qu’il y a une certaine liberté de parole quand même sur ça ?

Christine Kev : Ça se base beaucoup sur la confiance en fait. Mo- aujourd’hui, j’ai un peu cette chance d’être très fortement identifiée par la communauté Smash sur justement ces questions-là et donc assez rapidement, on vient me dire : “j’ai eu connaissance de ce cas, est ce que tu peux prendre le temps de parler à la personne”, ce que je fais régulièrement. Mais les témoins, sur place, c’est toujours pareil, c’est que ça reste un événement communautaire. Donc c’est soit je connais pas du tout la personne et je me sens rarement concernée et je me sens pas la légitimité d’aller remonter un fait, parce que j’ai peut-être pas tout le contexte, parce que je connais pas les personnes et je voudrais pas, je dis une bêtise, quelqu’un qui chambre son pote avec des propos parfois forts. Bon bah oui, si c’est son meilleur pote entre guillemets, ça prend un tout autre sens que si c’est quelqu’un qui connaît pas du tout. Tout ça pour dire que, donc il y a un peu ce truc-là de : “Ah ouais mais j’ai vu, mais en fait je savais pas le contexte donc j’ai pas trop osé agir” à la victime bah va voir un peu ses potes en fait. Elle va tourner un peu autour. Et puis soit dit en vrai, t’es sûr ? Soit en fait, elle se fait dissuader tout bêtement en disant : “En vrai, c’est pas si grave, t’inquiète, vas-y, viens, on va boire un coup dehors et puis ça passe et puis ciao quoi”. Soit effectivement la personne dans ce cas-là dit : “Non, il faut faire remonter”. Ils y vont ensemble faire remonter, mais parce que la victime dit : “Bah je vais en parler à un organisateur, donc on y va ensemble”. Mais tu as rarement quelqu’un de son propre chef qui vient dire : “Hey, j’ai constaté qu’il y avait un truc qui était pas normal là-bas, c’est pas ouf ouf”. On est plutôt dans ce cadre-là.

Julien Lombard : Super, très intéressant. Là maintenant, passons à la dernière étape. Donc on est après la compétition. Donc-là, est-ce que déjà, a posteriori, tu as des organisateurs qui, justement, par rapport à ce qui a pu se passer soit avant la compétition, soit pendant la compétition, se sont dit : “là, c’est fini, il faut qu’on prenne des mesures spécifiques”. À la fois pour protéger la victime sur la situation actuelle, mais aussi pour protéger d’éventuelles victimes. Est-ce que t’as senti qu’on a des prises de conscience par rapport à ça et donc des évolutions, encore une fois, du côté des organisateurs ?

Christine Kev : Oui j’ai plusieurs exemples. Quand c’est manifeste, clairement, il y a des preuves d’un agissement déplacé, des comportements problématiques parfois répétés. Ce qu’on appelle nous dans le secteur des call out. Voilà les personnes qui dénoncent publiquement des attitudes répréhensibles. Là, il y a souvent des prises d’actions assez immédiates. Encore tout récemment, on a eu un cas où il y a eu révélation sur un joueur d’attitude totalement répréhensible, avec des comportements discriminatoires. Et là, tout de suite, plusieurs structures ont tout de suite pris acte des faits et ont dit : “Nous, on décide de ne plus accueillir cette personne au sein de nos compétitions, merci, bonne journée, au revoir”. Donc ça, c’est quand on apprend par X ou Y raison des actes répréhensibles et que derrière on peut agir en prévention d’un futur événement. Après, il y a le cas où on apprend qu’il s’est passé quelque chose au sein de son propre événement et que la personne décide de parler a posteriori, soit parce qu’elle a parlé à des potes qui ont parlé, à des potes qui ont parlé à des potes et que derrière ça a fini par remonter aux organisateurs. Et là ça dépend. Encore une fois, ça dépend. J’avais parlé d’un cas justement d’une altercation physique dans le cadre d’un tournoi. Là, les organisateurs ont mis très longtemps à arbitrer sur qu’est-ce qu’on allait faire de cette personne. Encore une fois, lorsque t’as pas de dispositif avec un système de sanctions claires, c’est toujours à l’appréciation des organisateurs et organisatrices. Et là, ça dépend beaucoup des affects des uns et des autres, du fameux top player privilege, de dire : “Ah ouais mais si on le ban en fait du coup, notre tournoi va peut-être perdre en popularité”. Encore une fois, c’est parfois encore très compliqué pour certaines structures de se positionner suite à des types d’actes. Et encore, justement, ça dépend des types d’actes. Parce que certains à certains niveaux, considèrent qu’on peut laisser passer ou on lui rappellera gentiment qu’il faut faire attention, mais on aller, on va lui laisser une deuxième chance quoi. Après, il y a eu des exemples sur la communauté Super Smash Bros Melee. Pour moi, qui est un exemple, d’une communauté qui a su assainir sa scène ces quinze dernières années, justement parce qu’elle a fait face à des cas très graves d’agressions comme je disais, soit sur mineurs, de femmes, de tous types de violences sexistes et sexuelles, et qu’elle a su vraiment imposer des règles qui ont maintenant été suivies par l’ensemble des organisateurs européens, voire mondiaux. Et c’est vrai qu’on voit une véritable différence entre l’avant et après, on va dire ça comme ça. Mais typiquement l’Europe, à l’époque, il avait constitué une sorte de tribunal, j’ai pas d’autres termes, il y avait un SSB Code of Conduct, donc on a mis en place un code de conduite très très très très lourd. Vraiment, il est imbuvable mais très détaillé sur tous les types de comportements répréhensibles et les potentiels types de sanctions. En gros, une insulte, ça vaut une semaine de ban, je te la fais courte. Agressions physiques, dégradation du matériel, c’est ne reviens plus jamais sur aucun événement. Voilà, je te la fais courte.

Julien Lombard : Comme une sorte de code intérieur.

Christine Kev : Ouais c’est ça. Puisque du coup on n’a pas de règles. En fait, on a décidé de créer notre propre code sur le sujet et donc pour pouvoir décider des sanctions et pas non plus que ce soit totalement arbitraire, il y a eu constitution d’un groupe de personnes dont l’identité a été protégée justement pour éviter le plus possible des conflits d’intérêt ou d’influence. En gros, on remplissait un formulaire pour faire remonter un cas avec des preuves bien évidemment, le plus de preuves possibles. Et après, suite à l’audition des différentes parties, la structure prenait une décision et faisait publiquement un communiqué sur : “Nous préconisons X ou Y sanctions envers telle personne suite à ce type de faits”.

Julien Lombard : C’est incroyable ça ! D’accord, ok.

Christine Kev : On raconte pas toute l’histoire. Si les victimes veulent parler, c’est leur sujet, mais en général, voilà, c’est typiquement ce qui peuvent être mis en place sur des écosystèmes esport.

Julien Lombard : C’était quoi ? C’était sur la France alors où c’était sur l’Europe ?

Christine Kev : Alors ils ont fait sur l’Europe et notamment en France, ça a été très fortement suivi avec traduction de ce code et maintenant ce code qui était très très, très poussé, certains autres organisateurs d’événements, dont moi, peu importe le type de jeu, c’est quelque chose que je reprends tel quel, noir sur blanc.

Julien Lombard : Pour l’intégrer justement dans les règlements de compétitions.

Christine Kev : Moi typiquement, mes joueurs, quand ils s’inscrivent à mes tournois, c’est écrit : “En vous inscrivant à ce tournoi, ça vaut acceptation du code de conduite”, lien vers le code de conduite. Après, les gens le lisent, le lisent pas, c’est un autre débat. Au moins ils pourront pas dire qu’ils étaient pas conscients qu’il y avait ça en place sur mes tournois.

Julien Lombard : Et il y a eu des remises en cause ensuite de ces sanctions qui avaient été prononcées, où chaque fois les personnes qui avaient reçu ces sanctions n’ont pas donné suite ou en tout cas n’ont pas remis en cause ?

Christine Kev : Elles ont été très rarement mises en cause. En général, c’est des tiers d’ailleurs qui les remettent en cause en disant que la sanction est parfois trop lourde et autre. Ça reste quand même un jugement entre pairs qui sont parfois d’ailleurs suivis de véritables procédures judiciaires. En fait, on fait quelque chose de préventif que nous recommandons. C’est pour ça que j’utilise fortement le terme recommandé. Recommandons l’interdiction à cette personne de participer à des tournois pendant un an par exemple. Nous nous tenons disponibles pour les victimes afin de l’accompagner dans ses démarches judiciaires et en général, en fait, elles sont très peu remises en cause parce qu’il y a tellement en fait un effet de masse souvent compléter par la victime qui accepte souvent de parler. Et là, c’est le tribunal populaire, souvent de Twitter, qui parle cette fois-ci. Et l’argument d’autorité de masse qui fait que la personne en fait, elle ne se représente même plus en tournois.

Julien Lombard : Et est-ce que justement des associations comme France Esports ou Women in Games, à ton avis personnel, doit ou devrait ou aurait vocation à justement être utilisé par ces organisateurs pour avoir ce côté un peu indépendant ? Est-ce que ce type d’association devrait avoir un rôle spécifique à jouer dans ces cas-là ?

Christine Kev : Elle a tout à fait sa place sur ces questions-là, ne serait-ce que pour fournir des outils, former les acteurs de l’esport aux premiers bons réflexes sur ces questions-là, comme on a pu fournir le guide de l’organisation pour accompagner les joueurs à organiser des événements. Nous, ça nous semble ultra important de dire que France Esports ou tout autre association voulant agir pour la structuration de l’esport, être fers de lance sur ces questions-là. Forcément France Esports, ça paraît assez évident. Et c’est notamment avec cette casquette que moi j’agis sur cette question. Et après chez Women in Games France, bien évidemment, parce que c’est une des assos les plus reconnues sur les questions d’inclusivité genrées et qui est ressource de personnes hyper compétentes qui en font en partie leur activité sur l’accompagnement de conseils, de structures afin d’assainir leurs pratiques, de les former, de les aider à comprendre les mécanismes qui font qu’il y a des comportements problématiques, que c’est pas ok de les laisser passer.

Julien Lombard : Donc toi justement, si on évoque des mesures qui devraient être prises dans l’écosystème pour à la fois protéger les victimes et puis aussi pour sensibiliser les participants de manière générale, ça serait ça, ça serait peut-être une plus grande implication des associations entre guillemets nationales, comme France Esports, ou comme d’autres. Ou même spécifiques à des jeux. Parce que tu donnais l’exemple aussi de l’association qui regroupe les différents organisateurs de SSB Melee. C’est ça qui serait un point d’avancée important pour répondre aux problématiques qui sont rencontrées par de nombreuses personnes. D’abord en premier lieu les victimes, et puis ensuite aussi les organisateurs eux-mêmes et les participants.

Christine Kev : Ouais moi j’y crois vraiment. Quand je vois tout le travail qu’a mené le French Melee sur ces questions-là au fil des années, avec la mise en place des codes de conduite, veiller à former tous les organisateurs et organisatrices sur les événements. Maintenant, c’est assez incroyable sur les événements Super Smash Bros Melee, on a souvent dans nos plannings de tournois un petit moment LGBTQIA meeting, juste pour montrer qu’on est fier d’être inclusif. Je trouve que c’est une force et tous les jours on est témoins de comportements problématiques dans les différentes communautés de jeu. Ça nous paraît important que des acteurs comme France Esports ou Women in Games France ou plein d’autres soient moteurs sur ces questions parce que c’est véritablement un enjeu. On le sait aujourd’hui, l’esport, c’est un véritable enjeu de politiques publiques. Ça passe par tous les niveaux, notamment au niveau de la protection des pratiquants et notamment les plus jeunes d’entre eux. Et pour cela, ça passe forcément par la mise en place de dispositifs de protection.

Julien Lombard : On arrive sur mes dernières questions et justement, il y en a une qui est vraiment en lien avec tout ce dont on a parlé aujourd’hui. Quels sont pour toi les conseils que tu donnerais aux auditeurs justement lorsqu’ils font face à ces différentes situations ? Encore une fois, soit en qualité de victime, soit en qualité d’organisateur ou de participant, quels sont les conseils que tu aurais à leur donner ?

Christine Kev : Bien évidemment pas rester seul face à cette problématique et de se rapprocher déjà de structures qui sont spécialisées sur ces questions. Il y en a déjà plein qui existent, même si elles ne sont pas dédiées à l’esport directement. Souvent, on a le défaut de vouloir rester un petit peu entre nous, parce que c’est vrai que l’esport c’est pas encore un sujet très compris de tous, mais pour autant en fait, être victime d’un comportement répréhensible dans l’esport, peu importe, ou dans l’événementiel, là il y a des structures qui existent déjà, que ce soit effectivement sur des questions de VSS ou autre. Donc ne pas hésiter à se faire accompagner. Il y a plein de choses qui existent et qui sont trouvables rapidement sur Internet. En tant qu’organisateur, c’est de se former. À mes yeux en 2024, on peut pas rester inactif sur ces questions-là. Notamment dans des écosystèmes qui brasse énormément de monde comme Super Smash Bros. Mais on peut en citer d’autres. League of Legends, Rocket League, j’en passe et des meilleurs. Et d’être totalement non formé, d’avoir personne dans sa structure, référent harcèlement VSS ou autre, comme on peut par exemple avoir des obligations dans des entreprises, pour moi ça paraît juste évident d’avoir des personnes dédiées à ça et de se former juste à ces questions-là et de prendre ce temps-là, de considérer que ces enjeux sont aussi importants que le reste.

Julien Lombard : C’est tout à fait pertinent et à mon avis, c’est vraiment de très bons conseils Christine, merci beaucoup. Toute dernière question, plus générale, quelles sont toi tes attentes pour l’avenir de l’esport, tant d’un point de vue juridique qu’institutionnel ?

Christine Kev : De manière institutionnelle, c’est sûr qu’on attend des véritables avancées, notamment sur le contrôle de l’honorabilité des encadrants esport. Alors aujourd’hui, voilà, ça a été acté de dire qu’aujourd’hui le contrôle d’honorabilité doit s’étendre aux acteurs de l’esport. Mais aujourd’hui, on n’a pas encore les détails du décret. Concrètement, on n’a pas le dispositif, on sait pas qui ça concerne et je pense que ça ferait quand même beaucoup de bien à l’écosystème d’avoir quelque chose qui existe déjà parfois dans le sport, d’avoir peut être un dispositif d’écoute lorsqu’on est victime. Valoriser un dispositif de protection des joueurs et des joueuses avec des soutiens parfois financiers ou humains. Et ça, ça peut se faire de la part des institutions publiques locales. On n’a pas besoin de mille et une choses, mais déjà de faire soit de liens ou d’exiger aussi des choses. Par exemple, lorsqu’une association esport souhaite mettre en place un tournoi dans un lieu public, un lieu prêté par la ville, la ville, elle peut aussi exiger que cet organisateur mette en place des choses liées à ça. Typiquement, c’est les premières choses sur lesquelles on peut agir assez rapidement. C’est déjà pas mal si on arrive à faire ça prochainement.

Julien Lombard : C’est très concret. Donc ça, c’est vraiment intéressant. On a souvent des réponses plutôt sur il faudrait faire ça dans les cinq, dix, quinze ans. Là, tu donnes une recommandation, une attente très précise, très concrète et qui peut être très immédiate en fait. Merci beaucoup d’avoir pris le temps d’échanger avec moi là-dessus. Vraiment. C’était un podcast passionnant je trouve. Et du point de vue de l’organisation de tournois, je pense que c’est vraiment un épisode qui doit être écouté par le plus grand nombre et suivi aussi par les participants, les victimes pour pouvoir se sentir à l’aise de dénoncer les comportements dont ils sont malheureusement parfois victimes. Merci beaucoup Christine.

Christine Kev : Merci à toi Julien.

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